Sparte
Parménion s’éveilla juste avant l’aube. La chambre était plongée dans l’obscurité, à l’exception d’un rayon de lune qui entrait par la fenêtre du balcon. Il était seul, transi de froid. Il s’assit et se frotta vigoureusement les épaules. On aurait pu croire que l’hiver venait de s’abattre brusquement et il chercha des yeux une couverture ou une cape. L’unique chaleur perceptible provenait du collier qu’il portait autour du cou.
Quelque chose bougea derrière le pinceau de lumière. Parménion se leva en dégainant son épée.
« Montre-toi ! » exigea-t-il.
Une silhouette spectrale avança, lui prodiguant un terrible choc. Si l’on exceptait l’œil d’or, l’homme était le sosie parfait de Philippe : même barbe luisante comme la fourrure d’une panthère noire, même démarche assurée. Mais ce n’était pas Philippe, et Parménion recula involontairement en comprenant qu’il se trouvait en présence de la forme spirituelle du Roi-Démon.
« Tu me crains ? le nargua Philippos. Voilà qui est sage. Mais tu te dresses contre moi, et cela, c’est faire preuve d’une grande stupidité. Je sais tout ce que tu comptes faire. Je peux lire dans tes pensées et tes plans n’ont pas le moindre secret pour moi. Pourquoi persistes-tu puisque ta résistance est vouée à l’échec ?
— Que veux-tu ? contra Parménion.
— Il existe un enfant aux cheveux d’or. Fais-le-moi amener et je vous épargnerai, toi et ta cité. Il ne compte pas pour toi ; il n’est même pas de notre monde. C’est un démon portant en lui une puissance maléfique qu’il me faut détruire.
— Un démon, dis-tu ? Dans ce cas, vous êtes destinés à vous entendre, lui et toi.
— Je suis un homme, Parménion, et personne ne me dicte mes actes, répondit Philippos d’une voix amicale. Tu devrais le comprendre, toi qui es un soldat et un bon stratège – tu n’es d’ailleurs pas passé loin de la victoire contre moi. Mais je ne suis rien d’autre qu’un roi-guerrier bâtissant un empire, comme d’autres l’ont fait depuis la nuit des temps. Les grands hommes seront toujours attirés par le pouvoir. Regarde-moi ! Ai-je l’air d’un démon ?
— Je vais te dire ce que je vois : un homme qui a massacré ses propres enfants dans l’espoir de devenir dieu, un homme possédé. Inutile de chercher à m’acheter, Philippos ; tu n’y parviendras pas.
— Un enfant en échange d’une cité entière, et il n’est même pas Spartiate ! Es-tu fou, ou seulement simple d’esprit ?
— Tes insultes ne m’atteignent pas, rétorqua Parménion. Et tu te trompes ; je ne te crains pas. La bataille de Mantynée m’a permis d’en apprendre beaucoup. Je sais désormais que tu n’es qu’un piètre général se reposant sur son œil magique pour lui donner la victoire ; sans lui, tu ne serais rien. D’ici quelques jours, tu affronteras la puissance de Sparte et tu connaîtras la défaite et la mort. Car j’ai découvert le moyen de te tuer, Philippos.
— Si j’avais encore le moindre doute, voilà qui le dissipe : tu as bel et bien perdu la raison. Je suis invincible. Nulle arme, nul poison ne peut me tuer. Amène tes cinq mille hommes et ton armée d’esclaves et de vieillards. Nous verrons bien comment ils se comporteront face à la puissance de la Macédoyne ! Et ta fausse déesse ne te sauvera pas, cette fois-ci. J’ordonnerai que l’on te prenne vivant afin de pouvoir te faire dépecer vif. »
Parménion éclata de rire.
« N’est-ce pas plutôt toi qui me crains, démon ? Alors, quel effet cela fait-il d’avoir peur ? »
Les traits du roi se déformèrent et sa silhouette enfla démesurément. Le monstre qui lui succéda avait les yeux écarlates, un épiderme gris tacheté et une bouche sans lèvres garnie de crocs acérés. Des cornes de bouc incurvées prenaient naissance dans ses cheveux noirs et suivaient le contour de son crâne difforme. La bête avança, mais Parménion l’attendit de pied ferme, l’épée en avant.
« C’est toi qui me parles de peur, humain ? »
Parménion avait la gorge sèche, mais sa lame ne bougea pas. Le démon le surplomba de toute sa taille.
« Je suis le seigneur de l’univers. Il m’appartient depuis la nuit des temps, car tout ce qui existe prend naissance dans le Chaos. Tout, depuis la graine la plus humble jusqu’à la plus grande étoile. J’arpentais déjà ce monde avant la venue des premiers hommes, alors que le sol bouillonnait encore et que l’air n’était que flammes, et je m’y trouverai encore après que les humains auront disparu de sa surface depuis longtemps. Je serai toujours là quand la Terre ne sera plus que cendres et quand la dernière étoile s’éteindra. Et tu voudrais m’enseigner ce qu’est la peur ?
— À toi, non. Mais à lui, si. Tu ne te serais jamais montré s’il ne m’avait pas craint.
— Tu es perspicace, humain, mais ne va pas croire que j’ignore que tu es un imposteur. Je t’ai observé dans la forêt et sur mer, quand ton navire a coulé. Tu échoueras comme ton jumeau avant toi. Tu ne peux l’emporter, et tu le sais.
— Ce que je sais, c’est que nous devons nous dresser contre toi et qu’il est possible de te battre. Car ton pouvoir dépend des hommes qui te servent ; il n’est donc pas infini. Tes laquais peuvent mourir, et tu peux donc être vaincu.
— Ton intelligence est indéniable, Parménion, mais tu es perdu d’avance. Ton armée ne te servira à rien et tes esclaves fuiront à la première charge. Tes Spartiates se retrouveront encerclés et massacrés jusqu’au dernier. Dis-moi : à quoi aura servi ta résistance ? »
Incapable de répondre, le strategos fixa son ennemi droit dans les yeux et leva son épée. Le démon se dissipa, non sans lui susurrer une ultime menace :
« Je veillerai à ce que tu assistes à l’exécution de tous les habitants de ta cité, hommes, femmes et enfants. Tu seras le dernier à mourir. Penses-y, mortel, car tel est l’avenir que je te promets. »
Parménion se laissa tomber sur son lit et son épée lui échappa. Un terrible désespoir l’envahit, l’empêchant de penser. Comment avait-il pu se croire capable de vaincre un tel monstre ?
« Je suis avec toi, entendit-il dans son esprit.
— Théna ?
— Oui.
— Avez-vous vu ?
— Oui, et je suis fière de la manière dont tu lui as résisté. Alexandre est en sécurité. Nous avons atteint le Portail et nous sommes sous la protection de créatures très puissantes. Philippos aurait besoin de son armée tout entière pour capturer l’enfant.
— C’est une excellente nouvelle, répondit-il, soulagé. Avez-vous transmis mon message à Brontès ?
— Oui, mais il n’est pas parvenu à convaincre les siens de venir à ton aide. Les créatures de l’Enchantement redoutent par trop les humains, à juste titre. Des siècles durant, elles ont été traquées, trahies et abattues. Elles ne désirent qu’une chose, que la magie de leur monde leur soit rendue. Brontès, Casque et Attalus sont partis te rejoindre, mais ils sont seuls.
— Je m’y attendais, mais je suis tout de même déçu.
— Vois plutôt les choses du bon côté, lui conseilla-t-elle. Philippos n’a pas pu lire dans tes pensées et tes plans lui sont donc inconnus. »
Il lui adressa un petit sourire. « Je n’ai qu’un seul plan, madame. Un quitte ou double géant. S’il échoue, nous sommes tous morts.
— Un seul ?
— L’heure n’est plus à la subtilité. Un coup de dés, c’est tout ce qu’il nous sera donné d’essayer.
— Dans ce cas, tu dois t’assurer qu’il réussira… et je sais que tu en es capable, car tu es le strategos, notre ultime espoir. »
Parménion inspira profondément pour se calmer. « Philippos est peut-être incapable de lire dans mes pensées, mais je ne serai pas le seul à être au fait de mon plan le jour de la bataille. J’aurai besoin d’aide. Il faut absolument le distraire. Si jamais il découvre mes intentions, nous sommes perdus. Pouvez-vous faire quelque chose ? »
Il y eut quelques secondes de silence.
« Je vais y réfléchir, lui promit la prêtresse.
— Cela m’a fait plaisir de vous entendre de nouveau, dit-il subitement.
— Puisse la Source de Toute Chose être à tes côtés, mon… ami.
— J’échangerais volontiers son aide contre cinq mille cavaliers, madame. »
La journée fut longue et horriblement frustrante. Vêtus de leur nouvelle armure – cuirasse et ptérux en cuir bouilli –, les esclaves rendaient fous les officiers chargés de les former. Plusieurs dizaines durent être renvoyés et d’autres furent évacués vers l’infirmerie, blessés ou souffrant d’entorses et autres tracas musculaires.
Parménion fit le tour des groupes, encourageant soldats et officiers, suggérant de petites modifications au programme d’entraînement, et incitant les responsables à se montrer patients avec leurs recrues. Les heures s’écoulèrent lentement.
Dans le courant de l’après-midi, il se retrouva à aider les adolescents qui bloquaient les rues à l’aide de meubles et de sacs de terre et de pierres.
« Des javelots devront être déposés sur tous les toits de la rue du Départ et de l’avenue d’Athéna, ordonna-t-il à Cléandre. Postes-y des hommes suffisamment forts pour les lancer. Je veux également plusieurs centaines d’archers à l’agora, protégés par des barricades.
— Je m’en occupe, sire », lui promit l’éphore mourant.
Rentrant au palais à la tombée de la nuit, il passa deux heures en compagnie de Léonidas, Timasion, Cléandre et quelques autres officiers, à écouter les rapports qu’ils lui faisaient sur la progression de l’entraînement.
« D’ici deux jours, nous posséderons un noyau dur capable d’un certain potentiel, lui apprit Léonidas. Mais il s’agit de cinq mille hommes, tout au plus. Les autres seront plus un handicap qu’un avantage en cas de bataille rangée. Je suggère de les laisser dans l’enceinte de la cité, sous les ordres de Cléandre.
— Je suis d’accord avec ton analyse, mais les hommes rejetés des rangs ne doivent pas avoir l’impression d’être inutiles. Rassemble-les par groupes de vingt et ordonne au chef de chaque groupe de se mettre à la disposition de Cléandre. Dans la situation présente, le moral compte plus que la discipline, comprenez-le bien. Ne critiquez pas un homme qui serait maladroit ou peu habile à l’épée, et n’allez surtout pas dire qu’il faut des années pour devenir un vrai Spartiate. Encouragez vos hommes en permanence et incitez-les à toujours donner le meilleur d’eux-mêmes. Si vous ne pouvez féliciter leur adresse, louez leur courage. Traitez-les comme des frères. Tout officier se sentant incapable d’appliquer de telles méthodes retournera aussitôt à son régiment. J’ai vu plusieurs hommes crier après les recrues, cela doit cesser.
— Je comprends ce que vous voulez dire, sire, intervint Timasion. Mais la vérité, c’est que les esclaves ne pourront jamais résister à la phalange macédonyenne, et ce même si nous disposions de plusieurs mois pour les former. Il faut des années pour apprendre aux hommes à obéir instantanément aux ordres donnés et à changer de formation en rang serré. Vous ne pouvez attendre des esclaves qu’ils apprennent tout cela en moins d’une semaine.
— Timasion a raison, renchérit Lycon. La force d’une armée est définie par son plus faible élément. Nous ne disposerons pas de la moindre cavalerie et nos flancs seront défendus par les esclaves et les vétérans. Nous pouvons faire confiance à ces derniers, mais ils sont trop vieux pour résister à une charge. Quant aux esclaves, ils craqueront aussitôt.
— Je ne tiens pas à argumenter avec vous, mes amis, mais laissez-moi vous dire ceci : évoquer la défaite revient à l’appeler. Il suffit de croire que tout est perdu pour que cela soit en effet le cas. Nos recrues sont des hommes, qui tous rempliront le rôle que nous attendons d’eux. Faites-moi confiance sur ce point… et si vous ne vous en sentez pas capables, faites semblant. Je ne veux pas entendre parler de défaite ou de faiblesse. Nous sommes tous des soldats, et nous comprenons la nature de la guerre. Tout ce que vous venez de me dire est vrai, mais il ne faut en aucun cas le répéter hors de cette pièce. Au bout du compte, la bataille se gagne ou se perd sur les actions d’un seul homme. Qu’il s’affole, et la panique se propagera tel un feu de forêt. Mais s’il tient bon, ses compagnons feront de même. Je ne veux pas que les esclaves soient persuadés que nous allons perdre. Je veux qu’ils quittent la cité en hommes fiers, emplis d’espoir et convaincus que leurs seigneurs Spartiates les estiment. Je me moque que cela ne soit pas le cas, mais ils doivent en avoir l’impression. Et si jamais nous sortons vainqueurs du combat, ils auront amplement mérité notre considération.
— Vous croyez vraiment que nous pouvons l’emporter ? s’enquit Léonidas.
— Je ne le crois pas, je le sais ! Nous sommes Spartiates et nous ne céderons pas. Ce sont eux qui viendront se briser contre nos rangs. Leur cavalerie nous contournera et attaquera directement la cité, persuadée que tout homme assistant à cette manœuvre sera empli de terreur pour sa femme, ses enfants, sa mère et ses sœurs. Alors, leur infanterie nous attaquera, avec une supériorité numérique de trois contre un. La bataille se décidera dans l’heure qui suivra.
— Comment pouvez-vous être sûr que la cavalerie nous évitera ? demanda Lycon.
— J’ai vu combattre Philippos à Mantynée. Ce n’est pas un cavalier, il utilise sa phalange pour ses offensives majeures. Et il désire prendre la cité. Il veut tout mais il est incapable de faire preuve de patience. Il ne souhaite en aucun cas nous repousser et risquer de nous voir défendre Sparte rue après rue. Non, son intention est de nous couper de nos murs pour nous isoler.
— Admettons que vous vous trompiez, fit Timasion. Quelles seraient alors nos chances ? »
Parménion se força à sourire.
« Je sais que j’ai raison, mais si jamais la cavalerie macédonyenne n’attaque pas la cité, Cléandre et ses hommes viendront nous rejoindre sur le champ de bataille. Ah, autre chose : aucun esclave ne doit recevoir de cape rouge, elles seront réservées aux Spartiates.
— Mais pourquoi ? s’étonna Cléandre. Ne vaut-il mieux pas que nos recrues aient l’impression d’être vraiment incorporées à l’armée ?
— Je veux que les Spartiates soient instantanément reconnaissables, expliqua Parménion. L’ennemi doit pouvoir les voir clairement.
— Voilà un jour dont on se souviendra longtemps, bougonna Timasion. Cinq mille Spartiates contre quarante mille barbares.
— Oh oui, je vous promets une journée que les Macédonyens n’oublieront pas de sitôt », confirma Parménion.
Allongé sur son étroite paillasse, Nestus écoutait les ronflements des autres soldats. Le dortoir accueillait quarante Spartiates, des hommes du rang refusant de parler au géant déchu. Rejeté par tous, ce dernier sentait la rancœur le ronger.
Son père lui-même avait refusé de le recevoir, et la cité tout entière avait eu vent de son humiliation. Ses amis ne le connaissaient plus, ceux qu’il avait croisés dans les rues avaient aussitôt détourné le regard en faisant semblant de ne pas le voir.
La gorge sèche, il se leva et se rendit à la cantine, où il se versa un gobelet d’eau. Une brise fraîche caressa son dos nu et il frissonna.
Son existence semblait pourtant si prometteuse deux ans plus tôt. Il aimait Dérae et un mariage somptueux avait été arrangé. Son père avait été si fier de lui. Pensez donc, une union avec la famille royale, pour devenir le beau-frère du futur roi ! Tout le monde savait que Léonidas était l’héritier du trône, et il n’avait pas de meilleur ami que Nestus. Oh, oui, quel avenir radieux en perspective ! Le colosse en arrivait même à oublier la frustration qu’il ressentait à l’idée de servir le sang-mêlé, qui avait été nommé général en chef de Sparte.
Parménion…
Plus que jamais, le fait de penser à cet homme haï le faisait entrer dans une rage folle.
Le jour fatidique était gravé dans sa mémoire, et jamais il ne l’oublierait. Agésilas mort, Léonidas allait devenir roi. Transporté de joie en recevant la convocation de son ami, qui lui demandait de venir au Palais des Bovins, il s’était demandé quelle bonne nouvelle l’attendait. Allait-il être promu à un poste plus important ? Quel régiment aurait-il sous ses ordres ? Mais non. Il avait appris que le mariage était annulé afin que sa promise – la femme qu’il aimait ! – puisse épouser Parménion et permettre à ce dernier de devenir roi.
« J’aurais dû le tuer, ce jour-là », murmura Nestus.
Il se représenta son épée plongeant entre les côtes de Parménion, les yeux du bâtard qui devenaient vitreux…
Se laissant tomber sur un banc, il se servit un nouveau gobelet.
Et maintenant, que te reste-t-il ? s’interrogea-t-il. La mort, qui suivrait son humiliation de près. La destruction de Sparte et l’extermination de ses habitants. Pensant à Dérae, il se la représenta traînée hors du palais par les barbares, puis violée et enfin massacrée.
La malédiction des dieux s’était abattue sur la cité, pour la punir d’avoir permis à un sang-mêlé de monter sur le trône.
L’atmosphère se refroidit subitement, mais Nestus ne s’en rendit pas compte.
Pourquoi restes-tu ? entendit-il soudain résonner sous son crâne.
« Où pourrais-je aller ? » demanda-t-il à voix haute.
En Crète. Tu y as des amis… et tu es riche.
« Je ne peux pas abandonner ma famille et mes amis. »
Ce sont eux qui t’ont abandonné. Ils t’ignorent comme si tu n’existais plus.
« C’est ma faute. J’ai menacé le roi. »
Ce sang-mêlé ? Ce sous-homme qui a eu recours à la sorcellerie pour s’emparer du trône et de la femme que tu aimes ?
La sorcellerie ? Il n’y avait encore jamais pensé jusqu’à ce jour. Et pourtant, cela tombait sous le sens : Léonidas s’était fait envoûter. Pour quelle autre raison un Spartiate noble de naissance aurait-il sciemment abandonné le trône ?
Élimine-le.
« Non, je ne peux pas. »
Montre-toi digne des héros d’antan ; tue l’homme qui t’a volé ta promise. Reprends ce qui t’appartient de droit. Dérae t’aime. Sauve-la et emmène-la loin de la cité. En Crète, elle sera en sécurité.
« En sécurité, oui ! Je peux la délivrer. Elle m’aime, elle me suivra. Nous serions heureux, là-bas. Il suffirait de rejoindre Gythée à cheval, puis de prendre le bateau. Oui ! Je vais tuer le sang-mêlé et récupérer ce qui est à moi ! Oui ! »
Le froid se résorba aussitôt et la pièce devint chaude, étouffante, même. Le brusque changement de température fit frissonner Nestus, qui se leva pour retourner à son lit. Il revêtit silencieusement un chiton gris et des sandales lacées aux mollets. Puis, prenant sa cape et son épée, il sortit de la caserne.
L’obscurité régnait dans la demeure de son père ; il entra par une fenêtre du rez-de-chaussée avant de rejoindre furtivement le bureau du maître des lieux. Un renfoncement mural caché par un coffre en chêne sculpté abritait cinq grosses bourses en cuir pleines de pièces d’or. Nestus en prit deux et ressortit pour se rendre à l’écurie. Un palefrenier dormant sur un lit de paille se réveilla en l’entendant arriver, mais un violent coup de poing lui ouvrit la joue et le renvoya au pays des songes.
Nestus équipa deux chevaux et enveloppa leurs sabots de tissu. Cela fait, il les conduisit jusqu’au Palais des Bovins. Il n’y avait que deux sentinelles à l’entrée principale, et il les connaissait. Attachant les montures hors de leur champ de vision, il s’approcha des hommes d’armes.
« Qu’est-ce que tu fais ici ? » siffla le premier.
Le poing de Nestus lui déboîta la mâchoire et l’expédia au sol, inconscient. Sans perdre un instant, le colosse saisit le second par la gorge et le souleva dans les airs. La nuque du malheureux se brisa comme une brindille sèche. N’ayant pas eu l’intention de le tuer, Nestus le lâcha, horrifié par ce qu’il venait de faire.
Débarrasse-toi aussi de l’autre, entendit-il. Il dégaina son épée et la plongea sans hésiter dans le larynx de l’homme évanoui.
Une fois à l’intérieur du palais, il se précipita dans l’escalier jusqu’au deuxième étage. Son cœur battait à tout rompre et sa gorge était sèche lorsqu’il s’engagea dans le couloir menant aux appartements de la reine. La porte était entrouverte et il la poussa juste assez pour pénétrer. La lune entrait à flots par la fenêtre du balcon ; il remarqua instantanément une robe de chambre d’un vert luisant jetée sur un divan. Il s’en saisit et la huma. Le parfum de Dérae fit naître son désir. Sans faire de bruit, il se rendit dans la chambre, où la reine dormait sans draps. Nue, elle était allongée sur le côté, les jambes repliées et la tête sur le bras gauche. Nestus se mit à transpirer. La peau de la jeune femme, habituellement cuivrée, paraissait plus blanche que l’ivoire dans la clarté lunaire, mais cela n’était rien à sa douceur, à sa chaleur… Déglutissant avec difficulté, il posa son épée ensanglantée sur le lit et toucha délicatement le bras de Dérae. Sa main glissa jusqu’à la taille et traça l’arrondi de la hanche. Gémissant dans son sommeil, la dormeuse roula sur le dos.
Nestus sourit en pensant au bonheur qui serait le leur : une maison en bord de mer, des serviteurs, des enfants…
Dérae se réveilla et tenta de s’enfuir en hurlant. Instinctivement, il tenta de la rattraper et ses doigts se refermèrent sur l’épaisse chevelure de la jeune femme.
« Arrête ! l’enjoignit-il. C’est moi, Nestus. Je suis venu te sauver. »
Elle cessa de se débattre en le reconnaissant.
« Comment cela, me sauver ? As-tu donc perdu l’esprit ? Si l’on te découvre ici, tu mourras.
— Je m’en moque. J’ai déjà tué deux hommes, ce soir, et j’éliminerai tous ceux qui chercheront à m’arrêter. J’ai un plan, Dérae. Nous allons partir pour la Crète. J’y ai des amis et nous y serons heureux. Mais il faut d’abord que tu t’habilles, nous n’avons que peu de temps. Je t’expliquerai tout en chemin.
— Tu es complètement fou !
— Non ! Écoute-moi, la cité est perdue et rien ne la sauvera. C’est la seule chance qui nous reste de trouver le bonheur. Ne vois-tu pas ? Nous serons ensemble. »
Les yeux de Dérae se posèrent sur l’épée maculée de sang. « Qu’as-tu fait ? souffla-t-elle, horrifiée.
— Ce qu’il fallait », répondit-il en lui caressant le sein.
Elle se dégagea vivement.
« Parménion te tuera, lança-t-elle.
— Il est seul, ici, et ni lui ni personne d’autre n’a jamais été capable de me battre. Je suis le meilleur. »
La jeune femme roula brusquement sur le côté. Nestus se jeta sur elle, mais elle lui échappa et courut vers la porte. Saisissant son épée, le soldat s’élança à sa poursuite ; elle se trouvait déjà dans le couloir. « Parménion ! s’époumona-t-elle. Parménion ! » Nestus la rattrapa sur le palier de l’escalier et la saisit par les cheveux :
« Espèce de putain ! Tu disais que tu m’aimais, et aujourd’hui tu me trahis ?
— Je ne t’ai jamais aimé », lui assena-t-elle en le giflant de toutes ses forces.
La repoussant loin de lui, il brandit son arme.
« Je vais te tuer, putain ! »
L’esquivant de nouveau, elle dévala les marches deux à deux. Il courut derrière elle mais trébucha et s’affala de tout son long, perdant son épée dans sa chute. Étourdi, il se releva, récupéra sa lame et s’aperçut qu’il se trouvait au premier étage. Il chercha Dérae des yeux.
« Tu as une arme, entendit-il. Voyons si tu sais t’en servir. »
Parménion se tenait dans le couloir, nu. Dérae se cachait derrière lui.
« Tu vas mourir, sang-mêlé », promit Nestus.
Le roi lui répondit d’un salut moqueur. Le colosse bondit en armant son coup pour frapper au ventre, mais Parménion s’écarta et lui fit un croc-en-jambe. Nestus chuta lourdement… pour se relever aussitôt.
« Sois plus prudent, lui conseilla Parménion d’un ton glacial. La colère n’est jamais bonne conseillère. »
Nestus chargea de nouveau, frappant de taille au niveau de la gorge. Le roi mit un genou à terre et la lame siffla au-dessus de sa tête. Dans le même temps, il se fendit et son épée s’enfonça dans le bas-ventre du géant, qui hurla de douleur. Parménion se releva en tirant brusquement son arme. Nestus tituba sur quelques pas avant de tomber à genoux. Il tenta de se relever, mais ses dernières forces l’abandonnèrent et il s’effondra sur la pierre glacée.
La rage qui l’habitait le quittait au rythme du sang que l’artère sectionnée répandait sur le sol.
Qu’est-ce que je fais ici ? se demanda-t-il soudain.
Il entendit un bruit de cavalcade et des cris :
« On a essayé de tuer le roi ! »
Ce doit être ça, en conclut Nestus. Je suis venu défendre le roi.
Oui. Rassuré, il ferma les yeux. Père sera fier de moi, songea-t-il avant de plonger dans le néant.
S’écartant du corps sans vie, Parménion fit entrer Dérae dans ses appartements. Refermant la porte derrière lui, il laissa tomber son épée.
« Il était comme possédé », lui dit la jeune femme en se jetant dans ses bras.
Il la serra tendrement contre lui et aucun d’eux ne vit entrer Léonidas. L’officier resta un moment interdit puis s’éclaircit la gorge pour attirer leur attention. Parménion se tourna vers lui sans lâcher Dérae.
« Qu’y a-t-il, Léonidas ?
— Je voulais m’assurer que tu… que vous alliez bien, sire.
— Oh, Léon, c’était affreux, dit Dérae. Tu aurais dû voir ses yeux. Je ne l’avais jamais vu dans cet état.
— Il a tué deux sentinelles. Je constate que vous êtes tous les deux en parfaite santé, sire. Je vous laisse. Nous serons prêts à marcher dès le matin. Nous avions dit cinq jours, vous vous en souvenez ? »
Il salua rigidement Parménion et quitta la pièce. « Son humeur était étrange », chuchota Dérae en se pressant contre son époux.
Mais le strategos comprenait parfaitement la réticence de Léonidas, lequel venait juste de voir sa sœur dans les bras d’un imposteur.
« Je t’aime, poursuivit la jeune reine. Promets-moi que tu me reviendras.
— Comment pourrais-je faire une telle promesse ?
— Dis-le, c’est tout. Je ne crois pas que tu puisses perdre. Tu es Parménion, le roi de Sparte. Mon Parménion…»
Il sourit et la serra plus fort encore.
« Un sage m’a dit un jour de préparer l’avenir comme si l’on était immortel, et de vivre chaque heure comme si c’était notre dernière. Suivons son conseil. Apprécions cette nuit comme s’il ne devait pas y en avoir d’autres. »
Il la conduisit jusqu’à sa chambre, s’allongea et l’attira contre lui. Ils firent l’amour lentement, tendrement, car Parménion ne ressentait pas la moindre passion, mais un besoin désespéré de se coller à Dérae, de se fondre en elle. Sentant l’orgasme approcher, il se retira.
« Pourquoi t’arrêtes-tu ? demanda-t-elle en lui touchant la joue.
— Je ne veux pas que cela cesse. Pas ce soir… ni jamais.
— Tu es si triste, mon chéri. Mais il ne doit y avoir nul chagrin. Pas cette nuit… pas pour nous. »
Les doigts de Dérae caressèrent la poitrine de Parménion et descendirent le long de son abdomen musclé pour se refermer sur son sexe bandé. Il gémit.
« Je t’ai fait mal ? s’enquit-elle, une lueur moqueuse dans les yeux.
— Tu es une petite friponne, lui dit-il en la poussant sur le dos. Et je vais te traiter comme telle. »
Il mordilla doucement l’intérieur de la cuisse satinée et Dérae poussa un cri de surprise. Elle écarta les jambes pour lui échapper, mais il fut le plus rapide. Ses lèvres frôlèrent le triangle pubien et sa langue la pénétra. Ignorant ses protestations, il la tint fermement pour l’empêcher de se dégager. Brusquement, Dérae se détendit et se mit à gémir, puis son dos se cambra violemment et ses jambes se raidirent. Ses exclamations outragées se transformèrent en cris de plaisir et elle retomba sur le lit, les bras en croix.
Parménion vint la rejoindre.
« Alors, quel effet cela fait-il d’être une friponne ? voulut-il savoir.
— Merveilleux, reconnut-elle. Mais jure-moi de ne jamais me dire où tu appris à faire cela.
— C’est promis.
— J’ai changé d’avis, dis-le-moi.
— Je te jure que je ne n’ai jamais fait cela à aucune autre femme de ce monde.
— Tu me racontes des histoires.
— Sur mon honneur. Tu es la première femme de toute l’Egéa dont j’abuse de la sorte. »
Elle se souleva sur un coude et le dévisagea en souriant.
« Je te crois, décida-t-elle, mais tu me caches quelque chose.
— Serais-tu voyante ? demanda-t-il en souriant pour cacher sa gêne soudaine.
— Tamis m’a dit que je possédais en effet un certain talent mais qu’il n’était pas encore développé. Alors, quel est ton secret ?
— En ce moment, je ne suis pas sûr d’en avoir, répondit-il avec un regard pour son corps nu.
— Je vais tout de même m’en assurer. »
Elle se mit à genoux et lui embrassa l’abdomen, puis sa bouche descendit lentement.
« Oh, non, fit-il en tentant de l’arrêter. Tu ne peux pas faire cela, ce ne serait pas convenable. »
Le rire joyeux de Dérae résonna dans la chambre.
« Pas convenable ? répéta-t-elle. Un baiser digne d’une reine serait repoussé par le roi ? »
Il essaya bien de protester, mais bientôt les lèvres de la jeune femme engloutirent son sexe ; il cessa alors de se défendre.
Plus tard, alors qu’ils sirotaient un peu de vin sur un divan, ils entendirent des bruits de pas dans le couloir. Dérae retourna dans la chambre tandis que Parménion ouvrait la porte, l’épée à la main. Deux gardes se trouvaient là, accompagnés de Léonidas.
« Que se passe-t-il ? demanda le strategos.
— Les Macédonyens ne se sont pas arrêtés pour la nuit. Philippos cherche à nous prendre par surprise. Deux de nos éclaireurs viennent juste de rentrer : l’ennemi sera en vue de la cité à midi.
— Nous serons prêts à l’accueillir, lui promit Parménion.
— En effet. Ma sœur se trouve toujours avec toi ?
— Oui.
— Puis-je entrer ?
— Non, mon ami. Cette… dernière nuit… nous est réservée. Tu comprends ?
— Je crois que oui, mais je ne suis pas sûr que cette décision te semblera aussi sage quand le matin sera venu.
— J’ai de nombreux regrets, mais même si je dois mourir demain, cette nuit n’en fera pas partie.
— Je ne pensais pas à toi. »
La véracité des paroles de Léonidas fit à Parménion l’effet d’un coup au plexus. S’il n’avait pas fait l’amour à Dérae, cette dernière ne se serait souvenue que d’un roi froid et distant, et la peine qu’elle aurait éprouvée à sa disparition aurait été minime.
Mais qu’il l’emporte ou qu’il meure, Parménion disparaîtrait pour toujours de l’existence de la jeune reine. Il avait donné sa parole à Léonidas. Il serait roi pour cinq jours – ou jusqu’au terme de la bataille.
Et il perdrait Dérae pour la seconde fois…
Voyant l’expression désespérée de son souverain, Léonidas lui toucha l’épaule.
« Je suis désolé, mon ami », s’excusa-t-il.
Parménion ne répondit pas. Faisant un pas en arrière, il referma la porte pour trouver refuge dans l’obscurité de ses quartiers.
« De qui s’agissait-il ? » s’enquit Dérae.
Il alla la rejoindre dans la chambre.
« Léonidas. Les Macédonyens seront là demain.
— Et tu gagneras », affirma-t-elle d’une voix à moitié endormie alors qu’il les couvrait tous deux d’un drap.
C’était l’aube et il n’avait toujours pas fermé l’œil, quand il entendit Priastès entrer dans le salon. Se levant avec précaution, il sortit de la chambre en refermant doucement la porte derrière lui. Priastès s’inclina et Parménion ne put s’empêcher de sourire en voyant que le serviteur avait revêtu une cuirasse, un casque et des jambières.
« Tu as l’air féroce », l’assura-t-il.
Le vieil homme pouffa.
« Autrefois, je faisais peur à mes ennemis, dit-il. Mais je ne suis pas encore fini et les Macédonyens ne tarderont pas à s’en apercevoir. Quelle armure voulez-vous revêtir ?
— Une cuirasse toute simple, avec des jambières et des bracelets de force. Je me battrai à pied. Et trouve-moi un casque tout ce qu’il y a de plus ordinaire.
— Vous ne souhaitez pas être reconnaissable ? » s’étonna Priastès.
Parménion réfléchit rapidement. Le vieux serviteur avait raison. Jusqu’à ce jour, il avait toujours combattu en tant que général servant un monarque, un satrape ou une cité. Mais ici, c’était lui le roi, et de nombreux hommes s’apprêtaient à se battre – et à mourir – pour lui. Ils avaient le droit de voir leur souverain en action. Parménion leur devait d’être reconnaissable. Le moral des troupes était bien souvent changeant ; combien de batailles avait-il remportées par la seule présence de l’armure d’or et du long panache de Philippe ? L’orgueil des soldats était galvanisé lorsqu’ils voyaient leur roi se ruer au combat.
« Tu as raison, Priastès. Apporte-moi l’armure la plus voyante qui soit. »
Son aîné partit d’un grand rire.
« J’y ajouterai le casque d’or au long panache blanc et aux protège-joues en ivoire. Il est non seulement splendide, mais aussi très résistant. Il scintille comme le soleil et vous rendrez même Apollon malade de jalousie.
— Il n’est jamais bon de rendre les dieux jaloux.
— Ah, mais Apollon est bien plus beau que vous, il ne prendra pas ombrage que votre armure brille de mille feux. »
Moins d’une heure plus tard, alors que le soleil faisait son apparition au-dessus des montagnes, Parménion sortit du palais après s’être entretenu avec Cléandre et le conseil de défense de la cité. Il fut accueilli à l’extérieur par Léonidas, Timasion, Léarchus et les autres officiers. Tous s’inclinèrent en le voyant approcher et il se sentit rougir. La description de Priastès ne faisait pas suffisamment honneur à son casque ; quant à son armure de bronze et de fer couverte de feuilles d’or, elle était proprement éblouissante à la lumière du jour. Même ses jambières et ses bracelets de force s’ornaient d’ivoire et d’argent, et sa cape blanche était brodée de fils d’argent qui luisaient au soleil.
Les soldats l’aperçurent et dégainèrent leur épée, qu’ils heurtèrent contre leur bouclier dans une cacophonie terrible. Leur rendant leur salut en levant le bras, il parcourut des yeux les hommes massés le long de la rue du Départ.
« Le moment serait peut-être bien choisi pour nous faire part de votre plan », lui dit Léonidas avec un large sourire.
Hochant la tête, Parménion appela ses officiers à lui. Le collier ne dégageait pas la moindre chaleur et il expliqua calmement sa tactique. Ses subalternes l’écoutèrent en silence, et ce fut Léonidas qui tenta de poser la première question.
« Et si…
— Non, mon ami, l’arrêta Parménion en levant la main. Car avec des si… Et si le soleil venait à s’enflammer, ou la mer à monter ? Le temps de telles interrogations est passé. J’ai vu le Roi-Démon à l’œuvre et je sais que nous n’avons qu’une seule et unique chance de l’emporter. Il est vital que son infanterie attaque les Spartiates sans se préoccuper des esclaves, du moins dans un premier temps. Si nous parvenons à le convaincre d’agir ainsi, nous avons une chance. Et maintenant, préparez vos régiments, nous allons nous mettre en route. »
Il dévisagea les hommes qui l’entouraient. Aucun d’eux n’appréciait la stratégie qu’il leur avait exposée mais, même dans ce monde qui n’était pas le sien, la discipline Spartiate restait de fer. Tous le saluèrent avant de s’éloigner.
Parménion alla se poster à la tête de la colonne, suivi de Léonidas.
« Je prie les dieux pour que ton plan fonctionne, fit ce dernier.
— Espérons qu’ils t’entendront. » L’avant-garde venait de sortir de l’enceinte de la cité lorsque les trois cavaliers arrivèrent du sud. Attalus et Casque galopaient côte à côte, suivis d’un Brontès qui n’était manifestement pas habitué à monter à cheval.
Le champion de Philippe arrêta son destrier à côté de Parménion et sauta à terre.
« Nulle aide ne viendra du sud, rapporta-t-il sans pouvoir s’empêcher d’admirer l’armure d’or.
— Je n’en espérais pas. Suivez-moi, tous les trois. » Brontès et Casque mirent eux aussi pied à terre. « Cela me fait plaisir de vous revoir, mes amis, leur dit Parménion en tendant la main au minotaure.
— Je suis désolé que mes frères de l’Enchantement aient refusé de combattre à tes côtés, Parménion, répondit l’homme-taureau. Mais ils ne veulent pas prendre part à ce qu’ils considèrent comme une guerre purement humaine. Je serais peut-être parvenu à les persuader, mais ils se sont retranchés dans leur position quand je leur ai dit que tu avais promis le renouveau de l’Enchantement à Gorgone. Si tu ne t’étais pas fait un ami de ce démon, tu serais peut-être à la tête de deux armées, aujourd’hui.
— Sans Gorgone, Alexandre n’aurait jamais atteint le Portail, lui fit remarquer Parménion. Mais cela n’a plus d’importance. Nous nous battrons seuls, et il arrive parfois que l’absence d’alliés renforce le cœur des hommes. » Il se tourna vers Casque. « Je pensais que tu serais resté auprès d’Alexandre. N’est-il pas le seul à pouvoir te rendre la mémoire ?
— Il m’a dit de venir, répondit le guerrier au casque de bronze. Selon lui, c’est près de toi que je trouverai les réponses à mes questions.
— Et toi, Attalus ? Rien ne t’oblige à être ici.
— Je me suis habitué à ta compagnie… pardon, à votre compagnie, sire. Et je ne raterais pour rien au monde la bataille qui s’annonce. Le Roi-Démon me pourchasse depuis que je suis arrivé sur cette terre. À mon tour, maintenant. »
Parménion lui sourit.
« Nous le traquerons ensemble », promit-il.